Le 22 Mai 1914, Herman Poole Blount arrive sur Terre à Birmingham, Alabama. Il se fera connaître, bien des années plus tard, sous le nom de Sun Ra et deviendra un des jazzman les plus extraordinaires et les plus prolifiques de ce siècle, ainsi que le fondateur d'une étrange philosophie cosmique.
Birmingham, que l’on surnomme « the Magic City », est à l’époque une ville du Sud industrielle marquée par la ségrégation. Environnement à première vue hostile, c'est pourtant là que Sun Ra jette les bases de sa pensée mystique et de sa musique, voyant dans sa ville un monde incroyable et rempli de signes. Il la quittera à ses 32 ans pour Chicago et n'y reviendra que pour y mourir, en 1993.
Portrait de l’artiste en jeune homme autant que portrait d’une ville, The Magic City raconte les jeunes années de Sun Ra dans cette ville-univers à la fois politique et magique, quotidienne et fantastique, inquiétante et fascinante.
On retient souvent de Sun Ra sa flamboyante personnalité mystico-cosmique et il vrai que cela est au centre de son œuvre. Nous pensons bien évidemment entrer dans la ronde et remettre en scène cette flamboyance, cette force d’évasion marginale, cette compositrice de perspectives nouvelles. Il nous est cependant vite apparu que la place encore marginale de Sun Ra dans l’histoire du jazz et de la musique est souvent le fruit des observateurs qui s’attardent devant l’arbre qui cache la forêt. Une forêt dense, enchantée mais inquiétante puisqu’on s’y perd facilement et qu’elle est réputée gigantesque. L'œuvre de Sun Ra nous apparaît pourtant clairement comme l'une des plus importante du XX ème siècle tant elle parvient à concilier un foisonnement total et une extraordinaire cohérence, une profondeur philosophique et une compréhension fine des enjeux de la musique populaire. Notre rencontre scella le désir de réaliser un film sur ce musicien qui nous fascine. Présentons-nous :
Guillaume Maupin : musicien, programmateur au cinema Nova et cinéaste, je prêche l’importance de Sun Ra à qui veut l’entendre. Passionné hardi, la volonté de réaliser un film sur ce jazzman me taraude depuis longtemps. Mon travail de mise en perspective et en musique du Birth of a Nation de Griffith m’avait déjà̀ permis d’explorer et de construire un processus artistique autour de la question raciale aux États-Unis, de la musique américaine et de la place de « l’Alien » dans toutes ses acceptions anglo-saxonnes. Enfin, dans le long métrage Water Music, je me suis amusé à suivre le fleuve qui se renouvelle mais n’est jamais le même, qu’il soit fait d’eau, de jazz ou de rock, et surtout de ce folklore qui constitue les peuples.
Pablo Guarise : ma fascination pour Sun Ra fait écho à mon travail sur des récits où réalité́ et mythe se mêlent, proposant au spectateur de voyager dans des villes insolites grâce à des narrateurs fantasques et des constructions délirantes. Dans La disparition de Tom R., j’entreprenais d’amener le spectateur dans une enquête sans fond tandis que dans Une chambre en Pologne je cherchais à faire le portrait d'une Varsovie merveilleuse et labyrinthique.
À ce jour, il n'existe aucun film tentant d'aborder Sun Ra d'un point de vue biographique. Il nous est très vite apparu que tenter d'évoquer de manière exhaustive la vie et l'œuvre d'un tel Béhémoth serait une entreprise pharaonique à laquelle nous ne pouvions nous atteler. Afin d'appréhender un personnage aussi multiple, il nous fallait au contraire choisir un angle d'attaque restreint et pertinent, qui soit susceptible à la fois d'intéresser les passionnés et de servir de porte d'entrée aux non-initiés. Car si l’œuvre et la portée de Sun Ra restent incommensurables et parfois impénétrables pour nous humains, elles ont, sinon une naissance, du moins un point de départ, un tuteur.